L’Épopée de Gilgamesh photographiée : les œuvres du Pergamon
Gilgamesh est le nom de l’un des plus anciens héros connus du bassin mésopotamien. En recoupant différentes sources, on pense aujourd’hui que si Gilgamesh a vraiment existé, il aurait régné cent vingt-six ans, aux environs de 2 650 avant notre ère. Grand, fort, beau, intelligent, cinquième roi de la dynastie d’Ourouk, il est devenu le héros solaire d’une légende qui se transmet durant deux mille à trois mille ans avant de sombrer dans l’oubli.
D’abord racontée à l’oral, sa légende a par ailleurs été copiée et recopiée, remaniée, raccourcie, complétée, ce qui explique la cohabitation de différentes versions de L’Épopée de Gilgamesh. La légende est redécouverte au milieu du XIXe siècle à l’occasion du déchiffrage de tablettes cunéiformes trouvées lors de fouilles près de la cité de Ninive. C’est le plus ancien récit littéraire connu à ce jour.
De septembre 2021 à avril 2022, le photographe Jean-Christophe Ballot a réalisé autour de L’Épopée de Gilgamesh une œuvre photographique redonnant vie à une centaine de pièces millénaires, conservées principalement dans les départements d’antiquités orientales du musée national d’Irak à Bagdad, mais aussi dans les grandes collections européennes constituées au cours du XIXe siècle : au musée du Louvre à Paris, au British Museum à Londres et au Pergamon Museum à Berlin. À travers cette série de quatre articles, nous vous dévoilons les coulisses de cette aventure artistique et éditoriale en quatre étapes : les recherches préliminaires au Pergamon Museum (épisode 1), les mardis au musée du Louvre (épisode 2), une nuit au British Museum (épisode 3) et enfin l’épopée irakienne de Jean-Christophe Ballot et Diane de Selliers (dernier épisode).
Épisode 1 : LE VOYAGE DE RECHERCHE PRÉLIMINAIRE AU PERGAMON MUSEUM
À l’automne 2021, Jean-Christophe Ballot a navigué entre Paris, Londres et Berlin pour ses recherches préliminaires. Sous la direction scientifique d’Ariane Thomas, conservatrice et directrice du département des Antiquités orientales au musée du Louvre, il s’agissait d’identifier un corpus d’œuvres parmi les mieux conservées, les plus édifiantes et les plus narratives permettant d’illustrer le récit.
Devant la multitude d’œuvres exploitables, les critères géographiques et temporels ont permis de resserrer nos explorations : nous avions décidé en amont de nous limiter à la sphère mésopotamienne, soit la région actuelle syro-irakienne, tout en incluant quelques exemples issus de la région voisine de Susiane en Iran. Quant aux frontières chronologiques, elles correspondent à la période de transmission orale et écrite de l’épopée, soit du IIIe au Ier millénaire avant notre ère, avec quelques œuvres plus anciennes datées du IVe millénaire, qui évoquent le monde pré-sumérien dans lequel Ourouk occupait une place capitale.
Ces recherches préliminaires ont permis à Jean-Christophe d’effectuer les premiers essais de lumière et de mise en scène en vue de la campagne photographique qui commençait quelques mois plus tard. Elles ont également permis à l’équipe éditoriale de s’imprégner de l’univers mésopotamien, mais aussi de l’univers artistique de Jean-Christophe, de manière à amorcer le travail sur le graphisme, le choix des couleurs et du papier.
C’est ainsi que Jean-Christophe Ballot, Marion Scheffels, directrice éditoriale, et Philippine Proux, éditrice, partirent mi-octobre 2021 pour 24 heures de repérage à Berlin. Le département du Proche-Orient du Pergamon Museum à Berlin, possède une collection impressionnante, dont la fameuse reconstitution de la porte d’Ishtar qui trônait dans la cité intérieure de la ville de Babylone sous le règne de Nabuchodonosor II, à l’époque néo-babylonienne (vers 600 av. J. C.)
La journée commença par un rendez-vous avec Nadja Cholidis, directrice adjointe des Antiquités Orientales, et Pinar Durgun, archéologue et conservatrice. Après avoir présenté leur vaste collection, répartie entre les salles du musée et quelque 5 000 pièces en réserve, Pinar Durgun fit visiter à l’équipe les salles du musée.
Une majeure partie de la sélection iconographique avait déjà été effectuée au Louvre. Il nous manquait quelques œuvres pour illustrer certains passages clés : un homme-scorpion, la mort d’Enkidou, les remparts d’Ourouk, la tablette du déluge… autant d’éléments que nous avons été cherchés en priorité lors de nos passages au British Museum et au Pergamon Museum.
Il existe peu d’illustrations directes de L’Épopée de Gilgamesh. On a longtemps voulu reconnaître la figure du roi Gilgamesh dans les personnages forts, barbus, aux cheveux longs, maîtrisant parfois des lions et qu’on trouve représentés sur certains sceaux et plaquettes ou sur des bas-reliefs assyriens, comme le pseudo Gilgamesh du musée du Louvre (p. 57 et 208)[1]. Rien ne s’y oppose, mais rien ne le prouve non plus. Cela prouve surtout que la figure de Gilgamesh incarnait un certain idéal royal dans l’Antiquité mésopotamienne. D’autres représentations en revanche semblent bien figurer des passages de l’histoire de Gilgamesh, comme cette terre cuite conservée à Berlin représentant Gilgamesh et Enkidou tuant le taureau céleste (p. 134-135)[2].
Sensibles à ces illustrations directes particulièrement touchantes, nous ne nous sommes cependant pas limités à celles-ci. Au-delà de l’aspect thématique, plusieurs critères entraient en jeu dans le choix d’une œuvre : la cohérence avec notre champ chronologique et géographique tout d’abord ; la beauté, l’émotion et l’expressivité se dégageant de cette œuvre ensuite ; des critères techniques enfin, principalement détectés par le regard photographique de Jean-Christophe Ballot : certaines œuvres ont ainsi été écartées car des fissures brouillaient la lecture, le relief n’était pas suffisamment expressif, le recul n’était pas suffisant ou encore pour des questions de couleur, trop noire ou trop blanche, l’œuvre n’aurait rien rendu à l’image.
Après cette première visite en compagnie de la conservatrice, l’équipe revint l’après-midi dans les salles afin que Jean-Christophe commence ses essais de prise de vue. Au terme de cette journée, 7 œuvres du Pergamon Museum étaient sélectionnées. Les repérages à Paris, Londres et Berlin terminés, le déroulé texte-image finalisé, Marion pouvait enfin commencer à mettre en place le planning pour les prises de vue début 2022.
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