Comment est représenté Gilgamesh ? L’équipe éditoriale des Éditions Diane de Selliers s’est rendue au département des antiquités orientales du Louvre pour photographier les plus belles œuvres liées au célèbre héros et à son histoire.
De septembre 2021 à avril 2022, le photographe Jean-Christophe Ballot a réalisé autour de L’Épopée de Gilgamesh une œuvre photographique redonnant vie à une centaine de pièces millénaires, conservées principalement dans les départements d’antiquités orientales du musée national d’Irak à Bagdad, mais aussi dans les grandes collections européennes constituées au cours du XIXe siècle : au musée du Louvre à Paris, au British Museum à Londres et au Pergamon Museum à Berlin. À travers cette série de quatre articles, nous vous dévoilons les coulisses de cette aventure artistique et éditoriale en quatre étapes : les recherches préliminaires au Pergamon Museum (épisode 1), les mardis au musée du Louvre (épisode 2), une nuit au British Museum (épisode 3) et enfin l’épopée irakienne de Jean-Christophe Ballot et Diane de Selliers (dernier épisode).
Épisode 2 : LES MARDIS AU LOUVRE
En 1847, le musée du Louvre fut le premier musée au monde à inaugurer un « musée assyrien » en exposant les plus beaux reliefs et sculptures du palais de Khorsabad. Le département des antiquités orientales conserve aujourd’hui plus de 150 000 artefacts. Tous les mardis, jour de fermeture du musée, pendant trois mois, Marion Scheffels, directrice éditoriale et Jean-Christophe Ballot, photographe, se sont retrouvés à 8 h 45 devant la « Porte de l’Oratoire », rue de Rivoli, entrée réservée au personnel. Accueillis par l’équipe responsable des tournages ou par les régisseurs, les prises de vues commencent le mardi le 4 janvier dans la cour Khorsabad.
Tous les mardis, le rituel est immuable. Marion commence par indiquer l’œuvre à photographier à Jean-Christophe, en lui précisant ce qu’elle est censée illustrer dans le récit, ce pourquoi elle a été choisie : veut-on la sculpture en entier ou veut-on ce détail de l’ondulation de la crinière pour illustrer un ouragan (p. 130-131)[1] ? Jean-Christophe se met ensuite à travailler son cadre. Pour photographier la courtisane (p. 75)[2] par exemple, il choisit d’évincer son imposant chapeau et de se concentrer sur ce qu’il estime être le plus intéressant : le visage en plan serré qui révèle un regard perçant. Une fois cette première approche amorcée, Marion lit alors à Jean-Christophe le passage de l’épopée concerné. À la suite de quoi, Jean-Christophe se remet à travailler ses lumières et le décor. Dans le noir autant que possible, pour fabriquer son propre jeu d’ombres et de lumières, il installe un à un ses projecteurs, puis tout un attirail de tissus et de réflecteurs qui viennent tamiser la lumière ou animer la pierre. Après avoir pris plusieurs photos, il choisit avec Marion, en fonction de l’émotion qui se dégage de la photographie et de ce qui était prévu dans le déroulé du livre.
Pour photographier les petits objets sortis des vitrines ou des réserves, le musée a mis une chambre noire à disposition de l’équipe. Dans cette réserve, sous le regard et l’objectif de Jean-Christophe, les vestiges archéologiques, Houmbaba (p. 99)[3], la hache (p. 85)[4], les chiens en duel (p. 95)[5]… tous s’éveillent et prennent vie. Certains objets sont plus difficiles à photographier que d’autres. C’est le cas des sceaux-cylindres, petits cylindres de 2 à 4 cm, ornés de motifs gravés en creux qui symbolisent l’identité de celui qui le porte et qu’on déroule sur l’argile fraîche pour y déposer une empreinte en guise de signature. Jean-Christophe doit les photographier de sorte qu’une reproduction au format des pages du livre, soit 33 cm de haut, soit possible… autant dire qu’il s’arrache quelques cheveux au passage.
Après ce passage en chambre en noire, les prises de vues dans les salles reprennent. C’est toujours très émouvant de voir les vitrines s’ouvrir, les barrières s’estomper le temps d’une photo. Ebih-Il (p. 89)[6] et son sourire nous tendent presque les bras. Les équipes du Louvre se plient en quatre (au sens propre !) pour permettre à Jean-Christophe de faire les plus belles photos. On voit ainsi l’un des régisseurs se glisser dans une vitrine récalcitrante pour attraper du bout de ses doigts l’une des œuvres à photographier. Mi-février, nous apprenons qu’il est nécessaire de faire appel, pour 4 œuvres, à des prestataires pour ouvrir des vitrines qui ne peuvent être manipulées par les régisseurs du Louvre. Le coût de cette opération est très coûteux mais cela en vaut la peine. C’est tout de même avec un certain soulagement que l’équipe aborde les prises de vues des bas-reliefs (majoritairement assyriens) : plus de vitrines à ouvrir, pas de décor à créer, les opérations avancent plus vite.
Pour la petite histoire, à l’issue de ces trois mois de travail dans le Louvre désert, certaines œuvres sorties des réserves comme une figurine de Gilgamesh piétinant la tête de Houmbaba (p. 117)[7], ont gagné en visibilité et sont désormais exposées dans les salles du musée. Comme une petite trace du passage des Éditions Diane de Selliers dans les salles mésopotamiennes du Louvre…
[1]. Taureau androcéphale ailé à cinq pattes, Irak, Khorsabad, époque néo-assyrienne, 721-705 av. J.-C., albâtre gypseux, Musée du Louvre, Paris. [2]. Tête de femme, Syrie, Tell Hariri, époque sumérienne, premier royaume d’Our, vers 2550-2400 av. J. C., calcaire, Musée du Louvre, Paris. [3]. Le démon Houmbaba, Irak, Époque amorrite, vers 2000-1600 av. J.-C., terre cuite, Musée du Louvre, Paris. [4]. Fragment de vase, buste de guerrier en relief, Irak, Tell Asmar, époque amorrite, vers 2000-1600 av. J.-C., terre cuite, Musée du Louvre, Paris. [5]. Combat de deux chiens tenus par deux gardiens, Irak, époque amorrite, vers 1894-1595 av. J.-C., terre cuite, Musée du Louvre, Paris. [6]. Statue du haut dignitaire Ebih-Il vouée à la déesse Ishtar, Syrie, Tell Hariri, époque sumérienne, Musée du Louvre, Paris. [7] Figurine de Gilgamesh debout piétinant la tête de Houmbaba, Irak, Tell Asmar, époque amorrite, vers 2000-1600 av. J.-C., terre cuite peinte, Musée du Louvre, Paris.