Nous rendons hommage à Haidi Milic qui a fondé « L’Amour des livres » en publiant l’édito de Diane de Selliers, rédigé à sa demande en 2001.

« Ecosi desio me mena. » Sur ce vers de Pétrarque s’ouvrait en l’an 2000 au Palais des Papes en Avignon l’exposition sur la Beauté. Et ainsi le désir me mène…

Ce désir de beauté, nous le portons tous en nous. Il nous grandit, nous rend plus généreux, plus aimant. Il nous aide à mieux comprendre le monde et nous-mêmes. Nous cherchons la beauté dans toutes ses manifestations : la nature, la littérature, l’art, la musique… Et l’émotion que la beauté procure en appelle de nouvelles. Nous devenons avides de beauté.

Tous les matins à 8 heures 20, je traverse le pont de la Concorde, à 8 heures 30 le pont Alexandre III. Tous les matins je suis émerveillée par les couleurs et la lumière de Paris, l’eau, la pierre, le ciel entre chien et loup au début de l’hiver, les nuances de gris bleutés les jours de pluie, le soleil lunaire dans l’axe du fleuve ou éblouissant derrière les tours de Notre-Dame, la Seine fougueuse ou lisse d’une nuit trop calme. Chaque jour est une découverte, une rencontre nouvelle et plus sensible avec la beauté.

Je peux écouter le même air de Haendel, Medelssohn, Monteverdi… des heures durant, des semaines entières, inlassablement, à mémoriser les paroles, à saisir les nuances de la voix et de la musique. À m’imprégner de beauté.

Paestum, au sud de Naples, sur la côte amalfitaine… Le 15 août au coucher du soleil, la Méditerranée s’embrase, près de trois mille ans de civilisation nous rattrapent, la Grèce et l’Italie sont ensemble au rendez-vous somptueux de la beauté. À Gênes, le Ecce Omo d’Antonello da Messina s’impose, aussi puissant que les Vierge allaitant de certaines petites églises de la campagne siennoise. À Lisbonne, La Tentation de saint Antoine de Jérôme Bosch s’est imprimée en moi jusqu’à devenir mon unique souvenir de cette très belle ville. Et Nicolas de Staël, dans ses paysages épurés jusqu’à la folie, dans ses musiciens et orchestres qui explosent d’émotion, m’a révélé l’absolu dans la peinture.

Ce sentiment d’éternité, de grandeur qui vous dépasse, de perfection de l’œuvre, j’ai voulu le traduire dans ce que j’aime tant, et que je connais un peu, le livre.

Je suis depuis l’enfance passionnée par les livres. À l’âge de neuf ans, j’avais lu tout Jules Verne, dans cette belle édition reliée où quelques gravures stimulent plus encore le désir d’aventures et de lieux inconnus, cachée derrière de grandes pages, respirant l’encre d’imprimerie, et rêvant de voyages « au centre de la terre »… Aujourd’hui encore, quand un auteur m’interpelle, j’ai tendance à découvrir tout ce qu’il a écrit.

Je vis entourée de livres. Il y en a dans toutes les pièces. Aucun n’est rangé. Ils sont dans les bibliothèques, empilés par terre, sur et sous le piano. Vivants, directement accessibles. Les bureaux de éditions sont installés au fond d’une petit librairie. Nous manquons de place… ou de livres : tous les jours les nouveautés arrivent, avec leur lot de livres d’art, et la présence constante et rassurante des ouvrages de la Librairie, qui confirment nos racines, nos repères, nos goûts. Il y a les livres aussi qui nous tiennent bien au-delà de la lecture, qui continuent leur œuvre silencieusement au plus profond de notre être. Avril brisé d’Ismaël Kadaré m’a ainsi récemment bouleversée.  Mais c’est La Divine Comédie de Dante, en français comme en italien, qui rythme ma vie.

On me demande souvent ce qui guide mes choix éditoriaux : j’ai envie de répondre par ce poème de Constantin Cavafy : « Je reste à rêver… Mon rapport à l’art est fait de sensations et de désirs. Quelques visages ou lignes entrevus, vagues mémoires d’amour inachevées… » Ai-je rêvé que Botticelli avait illustré la Divine Comédie, eu la sensation intense que l’Iliade et l’Odyssée devaient revivre par les traits de Mimmo Paladino, et l’immense désir d’unir toutes les légendes dorées de la peinture renaissante au texte inspiré qui les avait éclairées ? Et Cavafy de continuer : « L’art sait façonner une certaine forme de beauté, compétant la vie de manière presque imperceptible, combinant les impressions, combinant les jours… »

Diane de Selliers, 2001
Préface de l’Amour des livres