L’épopée éditoriale d’une exploratrice
Pour les bilingues, la version italienne se trouve en bas de cet article.
Éditrice par hasard ?
C’est en 1992 que fut imprimé le premier livre d’art signé Diane de Selliers. Il s’agissait de l’édition intégrale des « Fables » de Jean de la Fontaine accompagnées par les gravures chromatiques de Jean-Baptiste Oudry.
Un projet éditorial ambitieux, à l’origine d’une collection, une seule, raffinée et colossale, dans laquelle l’ensemble et le détail s’agencent merveilleusement. Cette quête de perfection, que Diane de Selliers atteint à chaque sortie annuelle, repose sur sa manière si particulière de fabriquer un livre dont elle seule semble détenir le secret : faire comme si c’était l’unique, le dernier, le plus important. « Tout a commencé ainsi », à l’occasion de cette sortie éditoriale fortement voulue – « je savais que je tenais un trésor » – qui permit à Diane de Selliers de se mettre définitivement à son compte, de se réapproprier sa « liberté d’éditrice » et de publier l’ouvrage à son nom.
Une liberté identitaire à laquelle Diane n’a plus jamais renoncé et qui l’a conduite loin, très loin, jusqu’à aux origines scripturales de l’humanité avec cette année la publication de l’Épopée de Gilgamesh illustrée par les bas-reliefs et les sculptures mésopotamiennes. Parmi ses prouesses les plus réussies et emblématiques, impossible de ne pas évoquer la publication titanesque du Rāmāyana en sept volumes, l’épopée fondatrice de l’hindouisme, illustrée par plus de six-cents miniatures indiennes allant du XVIe au XIXe siècles. Ou encore Le dit du Genji de Murasaki-Shikibu, roman signant l’aube de la littérature nipponne, articulé visuellement par la peinture traditionnelle japonaise sur différents supports. Ne pouvaient certainement pas manquer à l’appel l’Iliade et l’Odyssée d’Homère, vivifiés par les puissantes illustrations de Mimmo Palatino, ainsi que l’Eneide de Virgile évoquée par 180 fresques et mosaïques anciennes, savamment sélectionnées entre l’Italie, l’Arabie, l’Afrique et l’Asie Mineure.
Diane et l’Italie
Éminente, voire même constitutive, la présence artistique et littéraire du « Bel Paese » est au cœur de la “Collection”. On y trouve ainsi Rome, Naples et Florence et les Promenades dans Rome de Stendhal immortalisées par les peintres romantiques ; Le Marchand de Venise et l’Othello de Shakespeare plongés dans un panorama pictural de la Renaissance vénitienne ; La Légende Dorée de Jacques de Voragine au regard des peintures et fresques de la Renaissance italienne ( Prix Italiques en 2001 ) ; mais aussi le mythe des Trois Couronnes, la Divine Comédie de Dante avec ces merveilleux dessins faits à la pointe de métal et à l’encre sur parchemin de Botticelli, restés depuis toujours dans l’ombre protectrice du Kupferstichkabinet de Berlin et de la Bibliothèque Apostolique Vaticane avant d’être reproduits et publiés pour la première fois dans cette édition exceptionnelle de référence ; ou encore Le Decameron de Boccace illustré par ce dernier et par les peintres de son époque, sans oublier Les Triomphes de Pétrarque, magnifiés par l’art du vitrail français du XVIe siècle, un coup de génie d’une sensibilité désarmante illuminant le profond héritage que le pétrarquisme a laissé à l’histoire de l’art.
La passion de Diane pour l’Italie est une chose connue et « absolument naturelle ». Pour elle ce pays représente « le point de rencontre le plus fertile entre les cultures grecque, latine et byzantine, et donc le lieu de conjonction de toutes mes aspirations philosophiques, spirituelles, artistiques, religieuses, culturelles et géographiques ». Une passion aussi spontanée que cultivée par cette italophile très subtile qui ferait rougir d’ignorance plus d’un natif italien.
Le texte et l’image : philosophie du livre d’art
Le rapport entre le texte et l’image est essentiel quoique libre dans la conception de chaque ouvrage ; le dialogue ékphrastique qui s’instaure ne craint aucun écart temporel ou spatial, il possède les traits de l’unicité et de l’inimitabilité. L’action est créatrice, car il serait réducteur de parler de renouvellement ou encore pire de modernisation dans le cadre du macro-milieu de la réédition illustrée. Les œuvres littéraires choisies sont proposées dans le plus grand respect éthique de leur genèse et de leur tradition littéraire d’appartenance. Les critères d’excellence et de qualité sont très élevés, garantis par un Parnasse composé d’éminents collaborateurs, personnalités d’envergure du monde académique, scientifique, artistique et littéraire. Chaque œuvre se trouve ramenée à la lumière, vivifiée, exaltée dans toute sa charge expressive. Le résultat, revivifiant, annonce toujours un accueil fervent des lecteurs et un immanquable succès éditorial. Plusieurs éditions de la “Grande Collection”, épuisées depuis des années, sont aujourd’hui devenues des pièces de collection et objets de culte bibliophile. Les nombreux prix, honneurs et reconnaissances décernés par d’importantes Institutions en France et dans le monde entier témoignent de la contribution culturelle et artistique concrète qu’apporte l’excellence éditoriale de Diane de Selliers, nommée Chevalier puis Officier des Arts et des Lettres en 2006 et 2017, sans oublier les insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur remis par le Président de la République en 2007.
Intuition et Désir
Les choix à la fois réfléchis et audacieux de Diane sont certes intimement liés à un esprit entrepreneurial, une perspicacité éditoriale et une audace commerciale remarquables, mais ce qui l’a toujours principalement guidée, comme elle le reconnaît elle-même en paraphrasant le titre de la biographie qui retrace l’histoire passionnante de son parcours d’éditrice jusqu’à présent (Et ainsi le désir me mène. Un parcours d’éditeur, Éditions Diane de Selliers, 2020 ), a toujours été le desio, le désir au sens pétrarquiste : « J’ai toujours publié les livres que j’avais envie de lire ». Le désir donc de transmettre et de partager, de perpétuer et de divulguer, d’animer des dialogues nouveaux en créant de multiples correspondances et en franchissant des lignes d’arrivée toujours plus ambitieuses.
Diane ne cesse de voyager, elle explore, (re)découvre les grands ouvrages et textes fondateurs de l’humanité pour offrir à ses lecteurs des expériences certes très élevées mais toujours accessibles car conçues pour être entièrement comprises et vécues. L’édition, comme la lecture, se transforme en un voyage dans le texte et dans l’image, un mariage qui se renouvelle et se réinvente à chaque nouvelle, et très attendue, publication : le Diane de Selliers de l’année ! Le voici, le bon rythme. Celui qui respecte les exigences de présentation et de diffusion de grands textes illustrés méritant qu’on braque sur eux tous les projecteurs, eux qui sont le fruit de plusieurs années de recherches difficiles, d’études, de découvertes, d’efforts multiples et d’interminables phases d’assemblage, de mise en pages et de peaufinage que Diane confie, depuis le début de son activité, aux mains expérimentées d’imprimeurs et relieurs italiens. Le résultat, débordant de vie, va au-delà de la simple réédition illustrée et devient une entreprise humaine imprégnée de grande épaisseur culturelle qui part de l’expérience personnelle pour finir en recherche universelle de nutriments et d’élévation : « C’est une recherche incessante qui, dans un cercle vertueux, part de l’individuel, de moi et de ma curiosité, de mon désir de connaître et de me connaître ».
Diane de Selliers humaniste et éditrice éclairée
Il suffit de franchir la porte de la librairie, cet écrin du 19 rue Bonaparte dans le 6e arrondissement de Paris, ou même de simplement jeter un coup d’œil au site internet de la maison d’édition ( www.dianedeselliers.com ), pour comprendre d’emblée ce qui amène Diane de Selliers à faire des livres comme on bâtit des cathédrales destinées à l’éternité. La rencontrer, lors d’une matinée à la fois ensoleillée et glaciale, en a été une confirmation : on a la vive impression de se trouver face à une humaniste authentique à qui, en tant que telle, n’importe pas de l’être. Ce sont ses livres qui ont fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui, elle qui rêvait d’abord d’être orthophoniste avant de se former au journalisme, ces livres qu’elle a lus, ceux qu’elle a créés et aussi ceux qu’elle a imaginés et qu’elle imagine encore, sans cesse. Chacun d’entre eux l’a amenée à une réalisation intellectuelle, spirituelle et artistique plus aboutie.
Libre, ouverte, audacieuse et perspicace, on ne peut pas dire « non » à Diane de Selliers : le non n’est pas une réponse pour une éditrice qui considère La Divina Commedia comme l’ouvrage qui a forgé « ma façon de regarder et d’interroger le monde ». Nombreux sont ses projets en gestation, autant d’idées dans l’attente du bon moment, de la situation propice ou d’une rencontre déterminante qui leur permettrait de se réaliser. Car Diane va là où les occasions de concrétiser ses idées se présentent. Chaque projet éditorial couvre une nouvelle zone géographique, une nouvelle époque, selon une cartographie façonnée par l’enthousiasme de la découverte, le goût de l’œcuménisme culturel, le plaisir du partage, mais aussi par une infatigable opiniâtreté à atteindre chaque fois l’objectif, cette idée-mère d’où tout jaillit et se repend. Mais rien n’est donné a priori de façon certaine, aucune prédétermination ne vient contraindre l’action, pas même un plan réellement structuré qu’il faudrait suivre servilement: la seule contrainte demeure la volonté de ne rien laisser de côté et d’aller le plus loin possible dans la recherche des images à associer à l’écriture afin d’obtenir le résultat les plus abouti, le plus prégnant, l’unité. S’agit-il d’une édition de luxe pour les élites (la maison fait par ailleurs partie du prestigieux et exclusif Comité Colbert ) ? Oui, vous répondra Diane, mais seulement dans le sens où ses ouvrages renvoient à l’éclat de la lumière. Cette splendeur qui dévoile et exalte la beauté cachée, oubliée, dispersée. Avec l’introduction de la “Petite Collection” une grande partie des livres de Diane de Selliers reviennent sur le marché éditorial dans un format réduit, plus accessible, qui conserve et transmet toutefois le soin et la valeur intrinsèque de la Collection originale. Trente ans de grands succès accomplis par Diane qui ne semble pas pour autant rechercher la gloire sinon la perfection et l’excellence, plus motivée par l’aspiration à l’accomplissement que par l’ambition : ce but qu’elle seule voit et qu’elle doit impérativement atteindre car il ne cesse de la guider et l’animer, avec passion.
À tes trente ans Diane de Selliers, et à tes trente prochains, lumineux, à venir !
Elisabetta Simonetta