L’Épopée de Gilgamesh photographiée : les œuvres du British Museum
Comment est représenté Gilgamesh ? L’équipe éditoriale des Éditions Diane de Selliers s’est rendue au département des antiquités orientales du British Museum pour photographier les plus belles œuvres liées au célèbre héros et à son histoire.
De septembre 2021 à avril 2022, le photographe Jean-Christophe Ballot a réalisé autour de L’Épopée de Gilgamesh une œuvre photographique redonnant vie à une centaine de pièces millénaires, conservées principalement dans les départements d’antiquités orientales du musée national d’Irak à Bagdad, mais aussi dans les grandes collections européennes constituées au cours du XIXe siècle : au musée du Louvre à Paris, au British Museum à Londres et au Pergamon Museum à Berlin. À travers cette série de quatre articles, nous vous dévoilons les coulisses de cette aventure artistique et éditoriale en quatre étapes : les recherches préliminaires au Pergamon Museum (épisode 1), les mardis au musée du Louvre (épisode 2), une nuit au British Museum (épisode 3) et enfin l’épopée irakienne de Jean-Christophe Ballot et Diane de Selliers (dernier épisode).
Épisode 3 : UNE NUIT AU MUSÉE
Le 24 février 2022 à 8 heures du matin, l’équipe éditoriale des Éditions Diane de Selliers retrouve Jean-Christophe Ballot à la Gare du Nord. Direction Londres pour 24 heures de prises de vues. Le British Museum possède une impressionnante collection d’antiquités orientales. Riche de 300 000 pièces, il s’agit de la plus importantes au monde après l’Irak. Un premier voyage de repérage des œuvres a déjà été effectué en octobre 2021 qui a permis de sélectionner huit œuvres à photographier.
Pour organiser les prises de vues nous avons dû prendre en compte une particularité du British Museum : le musée est ouvert de 10 heures à 17 heures, sans jour de fermeture. Qu’à cela ne tienne, nous allons photographier aux horaires de fermeture : de 17 à 23 heures le premier jour, puis le lendemain, entre 7 et 10 heures du matin. Une fois sur place, les autorisations obtenues, il n’y a pas une minute à perdre : le temps est compté, la demi-heure vaut de l’or. Nous avons fait le choix de photographier les bas-reliefs assyriens le premier soir ; le lendemain matin nous nous concentrerons sur les objets – sculptures et tablettes – avec la présence d’un régisseur pour sortir les œuvres des vitrines.
Après avoir déposé nos valises, déjeuné rapidement au pub du coin, le Jack Horner, nous effectuons un dernier tour de repérage au département des antiquités orientales du British Museum. Puis nous rentrons récupérer notre matériel à l’hôtel et nous arrivons, chargés comme des mules, à notre rendez-vous de 17 heures Nous sommes accueillis à l’entrée du musée par le docteur Giuseppe Pio Cascavilla, dit Peppe, en charge des tournages au British Museum. Il sera notre guide attitré pendant les prochaines heures.
Les portes du musée se ferment, les derniers visiteurs sont partis et nous entrons. Nous traversons la grande cour centrale du British Museum recouverte par l’immense verrière dessinée par Norman Foster. C’est une spectaculaire mosaïque de triangles transparents de 6 000 m2, d’un poids total de 800 tonnes, soutenue par un treillis de 12 kilomètres de jointures d’acier. Les équipes de ménage s’activent après la fermeture des cafés, les boutiques de souvenirs rentrent leur devanture, tout le monde se dit au revoir, les lumières s’éteignent, nous suivons un dédale de couloirs, ambiance feutrée, tous feux éteints, nous plongeons dans la nuit mésopotamienne.
Nous saluons les imposants taureaux ailés, gardiens du palais de Khorsabad, nous traversons les salles consacrées au palais de Ninive de Sennachérib, roi d’Assyrie de 704 à 681 av. J.-C., puis nous arrivons enfin aux salles tapissées de bas-reliefs du palais de Nimrud du roi Ashurnasirpal II, 883-859 av. J.-C. Le roi est représenté engagé dans une variété d’activités : menant des campagnes militaires, participant aux rituels, ou encore chassant le lion, sport royal dans l’ancienne Mésopotamie.
En 1847, le musée du Louvre fut le premier musée au monde à inaugurer un « musée assyrien » en exposant les plus beaux reliefs et sculptures du palais de Khorsabad. Le département des antiquités orientales conserve aujourd’hui plus de 150 000 artefacts. Tous les mardis, jour de fermeture du musée, pendant trois mois, Marion Scheffels, directrice éditoriale et Jean-Christophe Ballot, photographe, se sont retrouvés à 8 h 45 devant la « Porte de l’Oratoire », rue de Rivoli, entrée réservée au personnel. Accueillis par l’équipe responsable des tournages ou par les régisseurs, les prises de vues commencent le mardi le 4 janvier dans la cour Khorsabad.
Nous nous arrêtons justement devant une scène de chasse au lion. Ce qui nous intéresse ici, c’est un détail de la scène : une rangée de petits arbres aux feuilles délicatement sculptées qui viendront illustrer un passage de la mort d’Houmbaba :
« Autour d’eux, partout les cèdres se dressent
leur ombre immense et leur senteur
réjouissent le cœur. »
Après quelques petits problèmes techniques vite résolus par Peppe, la course contre la montre commence et nous enchaînons les salles, démontant à chaque fois le matériel de Jean-Christophe pour le réinstaller un peu plus loin, tirant les câbles, installant les lumières, les trépieds, les réflecteurs pendant que Jean-Christophe cherche son angle et l’étincelle de vie qui viendra animer l’albâtre. Nous nous activons tous et toutes, concentrés et silencieux, tandis que l’enceinte de Jean-Christophe diffuse dans le silence du musée les rythmes des chants révolutionnaires siciliens, les airs d’opéra italiens ou encore les sonorités brésiliennes des voix emmêlés de Vinicius de Moraes et Maria Creuza.
Il est 23 heures lorsque Jean-Christophe termine sa dernière prise de vue, nous sommes épuisés mais très satisfaits du résultat. Nous devrons encore envoyer les photos au British Museum pour une validation finale, mais pour l’instant, nous allons ranger notre matériel dans une arrière-salle obscure du musée avant de regagner notre hôtel pour quelques heures de sommeil bien mérité.
Le lendemain matin, nous revoilà aux portes du musée à 7 heures pile. Nous y retrouvons le fidèle Peppe et son énorme trousseau de clés. Ce matin, nous avons trois heures pour photographier trois objets. En comptant le temps d’installation qui sera forcément plus long puisqu’il faudra sortir les œuvres de leurs vitrines, le timing est très serré.
Nous commençons par une photographie de la déesse Éreshkigal. Sœur de la déesse Ishtar, son nom signifie en sumérien « Dame de la Grande Terre ». C’est la déesse du monde des morts. Elle y règne seule, jusqu’à son mariage avec le dieu Nergal, devenu dieu des Enfers. Cette statuette nous donne du fil à retordre. Trop fragile, le régisseur ne veut pas la sortir de sa vitrine. Jean-Christophe doit donc manœuvrer sans recul ni profondeur de champ, avec simplement une vitre ouverte.
L’émotion est palpable, lorsque, une heure plus tard, le régisseur met ses gants blancs pour sortir de sa vitrine la fameuse tablette du Déluge, véritable star du British Museum. Cette tablette d’argile de 15,2 sur 3,1 cm est beaucoup plus petite qu’on ne l’imagine. Découverte à Ninive, au Nord de l’Irak, datant du VIIe siècle av. J.-C., la tablette est exhumée par des archéologues britanniques en 1840. Rapportée en Angleterre, elle est exposée au British Museum pour ses qualités esthétiques, la gravure cunéiforme étant alors perçue comme un simple dessin. C’est alors qu’entre en scène le jeune George Smith, apprenti imprimeur passionné de culture mésopotamienne, qui va faire une découverte révolutionnaire : ces gravures cunéiformes renvoient bel et bien à une écriture, qui relate une histoire, en l’occurrence une histoire du déluge, bien antérieure à la version de la Genèse relatée dans la Bible. Le régisseur pose délicatement ce petit joyau d’histoire sur un plateau noir, lui-même posé sur une table roulante. Jean-Christophe tourne longuement autour pour réussir à trouver le bon angle, tandis que Marion lui lit les vers finaux de l’Épopée de Gilgamesh :
« Il a fait un long chemin.
De retour, fatigué mais serein
il grava sur la pierre
le récit de son voyage. »
Il est 9 h 45, nous avons terminé et Peppe nous presse : il faut ranger très rapidement, le musée ouvre ses portes dans un quart d’heure, nous devons remballer tous les câbles d’alimentation, ranger les projecteurs, les trépieds, les plateaux. Tout le monde s’y met et 15 minutes plus tard, nous quittons le musée, à l’instant où les premiers visiteurs entrent dans les salles, sans se douter que quelques minutes plus tôt les ombres de Gilgamesh, Enkidou et Éreshkigal rôdaient encore dans le British Museum endormi.
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