Poésies d’Emily Dickinson
illustrées par la peinture moderniste américaine
Traduction et notes de Françoise Delphy.
Sélection de 162 poèmes.
Préface de Lou Doillon.
Direction scientifique de l’iconographie et introduction « Des mots à la peinture : Emily Dickinson et le modernisme américain » par Anna Hiddleston.
170 peintures modernistes américaines de la première moitié du xxe siècle.
62 artistes présentés dans des notices biographiques.
Le Prix « J’aime le livre d’art » 2023 a récompensé le 18 novembre dernier l’ouvrage « Poésies d’Emily Dickinson illustrées par la peinture moderniste américaine » publié aux éditions Diane de Selliers. Le prix a été remis à la librairie Les Volcans à Clermont-Ferrand.
La rencontre entre la poésie d’Emily Dickinson et la peinture moderniste américaine.
Poétesse de la deuxième moitié du XIXe siècle, Emily Dickinson décrit avec une modernité bouleversante le monde qui l’entoure, un monde de liberté, en communion avec la nature, la vie et la mort, un univers transcendant, sensible, émouvant.
Cinquante ans plus tard, les poèmes de la plus grande poétesse des États-Unis trouvent un écho vibrant dans les œuvres de peintres américains, tant figuratifs qu’abstraits, à l’image d’Edward Hopper ou de Georgia O’Keeffe.
Feuilleter le livre
Le livre
Emily Dickinson et la peinture américaine
Dans la première moitié du xxe siècle, des artistes américains expriment leur amour pour leur pays en peignant l’immensité de ses paysages, de ses ciels, les vibrations de couleurs propres à la terre qui les nourrit. Avec un désir affirmé : s’affranchir de l’influence et des codes de la peinture européenne, en vogue depuis si longtemps.
Ainsi Charles Burchfield, Arthur Dove, Edward Hopper, Georgia O’Keeffe, Agnes Pelton, Charles Sheeler, Henrietta Shore, Marguerite Zorach et tant d’autres cherchent dans les émotions ressenties face à la nature une réponse au formalisme conceptuel des mouvements d’avant-garde européens du début du xxe siècle. Ils s’emparent du gigantisme du territoire américain pour exprimer l’insaisissable et l’étrangeté du monde.
Au XIXe siècle, dans une petite ville de la côte est américaine, une femme inspirée par l’intensité du quotidien invente son univers à elle, avec la légèreté de celle qui vit déjà dans l’éternité. Emily Dickinson va exister à travers l’écriture. Du regard qu’elle porte sur le monde depuis sa fenêtre se dégagent une sensibilité et une spiritualité qu’elle retranscrit dans son œuvre avec un style audacieux libéré de toute contrainte. Des vers courts rythmés mais non rimés, des majuscules aléatoires, des tirets comme respiration.
The Phillips Collection, Washington
Une modernité étonnante à une époque marquée par le puritanisme et le classicisme. La poésie d’Emily Dickinson se contemple comme un tableau. De multiples teintes se côtoient au creux de ses mots : le pourpre de l’aube ou du crépuscule, le vert du brin d’herbe rencontrant le papillon, le bleu céleste de l’extase et de l’infini.
Des couleurs qui s’assombrissent lorsque la perte, la mort et la souffrance de ceux qui restent s’invitent dans ses vers, ou qui s’égayent à l’idée d’une danse, d’une musique ou d’une impertinence sur la religion.
Son écriture, intense et souvent ironique, nous touche par la véracité de ses ressentis. Une poésie et des peintures aux couleurs puissantes pour une œuvre profondément américaine, moderne et humaine.
La poétesse
Emily Dickinson, la plus grande poétesse des Etats-Unis
Tant de mystères planent sur la vie et la personnalité d’Emily Dickinson, femme hors du commun recluse dans la petite ville de Amherst, à l’ouest de Boston, dans le Massachusetts, où elle mourut en 1886… Elle n’aurait jamais vu la mer ; pourtant, elle en parle avec la familiarité et la tendresse de qui aurait grandi sous les embruns. De même qu’elle parle de tant de lieux, d’atmosphères, de situations nées essentiellement de ses lectures et d’une vision du monde surgie de son univers intérieur.
Progressivement, en effet, le royaume d’Emily, qui toujours, privilégie sa liberté d’être et d’expression, se resserre à son jardin, sa maison, la cuisine où elle aime faire des gâteaux, quelques voisins ainsi que des intimes.
Whitney Museum of American Art, New York
Cette existence à la fois solitaire et entourée, de sa famille, de quelques amis ou amours tenus à distance, de ses livres, d’une abondante correspondance avec ses admirateurs, donne naissance à une œuvre poétique puissante, inattendue, sensible, moderne, qui fait d’Emily Dickinson, contemporaine de Rimbaud, la plus grande des poètes américains.
Née en 1830 dans une famille aisée, d’un père notable et d’une mère à la santé fragile, peu présente – « Je n’ai jamais eu de mère, je suppose qu’une mère est quelqu’un vers qui on se précipite quand on a des problèmes », écrit-elle à son ami Higginson –, rien ne la prédestine à cette vie d’ombre et de papier. Presque imperceptiblement, elle restreint son univers, de plus en plus attentive à son jardin que modèlent les saisons. Elle évoque ses souvenirs de l’église d’Amherst où elle allait, enfant. Réfractaire au dogmatisme et à la rigidité de la religion, elle lui préfère une spiritualité libre et vivante – « La messe est dans le jardin », écrit-elle. Emily est une fervente lectrice, de la Bible, de Shakespeare, d’Emily Brontë. Elle est habitée par la pensée de la mort et de la transcendance, autant d’inspirations qui nourriront son œuvre poétique.
De lumière et d'ombre
Sa poésie est composée de lumière et d’ombre. L’aube, le crépuscule, la vie et la naissance, les saisons, les vagues de l’âme, la mort, l’aspiration à l’éternité. Tel un phare, érigé sur une île que cerne l’horizon, immobile, projetant sa lumière à l’infini, soulignant les écueils, sa poésie éblouit d’autant de fulgurances qui captent les émotions et expriment les sensations, ouvrent l’esprit à des perceptions insoupçonnées, donnent au cœur autant d’élans que d’étonnements. Emily témoigne d’une affection particulière pour l’abeille et l’éphémère papillon, glanant les mots et les couleurs avec l’application laborieuse de l’abeille et la conscience de l’impermanence de la vie.
Nous avons sélectionné 162 poèmes d’Emily Dickinson en choisissant parmi ses thèmes privilégiés comme les plus inattendus. Nous voulions rendre au mieux compte des sujets qu’elle aborde, tout en cédant, autant que possible, à nos nombreux coups de cœur. En rupture avec le modèle romantique et classique de la poésie de son temps, son écriture est avant-gardiste tant par ses propos que par l’usage de l’ironie et des aphorismes ; elle marquera profondément la poésie américaine dès la fin du XIXe siècle.
Fortune et traduction
De son vivant, seuls quelques poèmes sont publiés, certains malgré elle. Emily souhaitait que son œuvre disparaisse avec elle. À sa mort, sa sœur prend pourtant la liberté de rassembler tous ses textes poétiques, dispersés dans des carnets, dans des boîtes, entassés dans les tiroirs de sa chambre, ainsi que sa correspondance, afin de les publier.
La traduction française de ses poèmes par Françoise Delphy, comme toute traduction, impose des choix, souvent audacieux, afin de demeurer fidèle à la fois à l’auteur et au lecteur. Travail d’exégèse qui relève souvent de l’acrobatie, nous dit-elle dans son texte liminaire : « C’est une poésie qui n’est pas bavarde, qui est allusive, elliptique, concentrée, ramassée, serrée. » Elle s’interroge : quand un mot est isolé entre deux tirets, est-il relié au mot d’avant ou à celui d’après, aux deux, ou est-il indépendant ?
Françoise Delphy, dont la thèse de littérature anglo-saxonne fut la première consacrée à Emily Dickinson, a attendu la fin de sa carrière pour traduire non seulement l’intégralité de ses 1 789 poèmes, mais également la totalité de sa très abondante correspondance. Quand je lui ai demandé ce qui l’avait le plus séduite, le plus marquée dans sa poésie, elle m’a répondu : « Tout ! » Ayant toujours adoré danser, elle a ajouté, facétieuse : « La poésie d’Emily Dickinson danse. »
Il nous a semblé essentiel d’accorder la même importance à la version originale des poèmes qu’à la version française, afin d’inviter le lecteur à les lire, dans les deux langues, à voix haute. Le sens, le rythme, la musicalité, les métaphores, le dépouillement de la phrase, les mots qui semblent parfois comme jetés sur le papier donnent une vision bouleversante du monde d’Emily Dickinson, un monde où l’âme est révélée par de multiples facettes, présentes dans la nature et ses visages.
Extrait de la préface de Diane de Selliers
Le regard de Lou Doillon sur Emily Dickinson
Lire Emily Dickinson, c’est découvrir un monde auquel on n’a pas accès, qu’on a le sentiment d’avoir connu, d’avoir perdu, un éden duquel nous avons été bannis.
Ce qui me trouble dans l’œuvre entière d’Emily Dickinson, c’est la rigueur de sa fantaisie, la liberté de ses phrases qui parviennent à échapper au cloisonnement de la poésie qui l’a inspirée.
Elle, la poétesse lépidoptériste, émerveillée pour sa propre éternité, nous laissant entr’apercevoir la nôtre.
Ses poèmes sont tour à tour incantations, sortilèges, comptines, jeux d’enfants, marelles jamais inquiétées par la mort qu’elle interpelle et tutoie, qu’elle regarde bien en face pour s’en détourner, émerveillée par un coucher de soleil, par le vol d’un roitelet.
Elle semble appartenir tout autant au végétal, au minéral, à l’enfance, à la vieillesse, au masculin, au féminin, au divin. Sans s’attarder.
Elle qui semble n’avoir jamais dévié, ni ne s’être jamais conformée, elle qui a eu l’audace de se réchauffer à la lumière de son propre feu.
Extrait de la préface de Lou Doillon
L’iconographie
La peinture moderniste américaine
Georgia O’Keeffe, Arthur Dove, Marsden Hartley, Charles Sheeler, Charles Demuth ou John Marin cherchent dans les émotions ressenties face à la nature une réponse au formalisme aride et conceptuel qui émerge des mouvements d’avant-garde européens du début du XXe siècle. Sous la houlette du photographe moderniste Alfred Stieglitz, ce groupe d’artistes originaires des États- Unis éprouve le besoin de définir une certaine forme d’art américain, « sans ce malheureux arrière-goût français » selon la formule particulièrement pertinente de Stieglitz.
Les artistes qui gravitent dans le cercle de Stieglitz se mettent à peindre des œuvres qui transposent les formes de la nature en motifs où se mêlent le figuratif et l’abstrait afin de saisir les rythmes cachés du visible.
Les artistes régionalistes Thomas Hart Benton, Rockwell Kent et Grant Wood, bien qu’ils se distinguent de Stieglitz par leur mépris pour la peinture moderne, soutiennent avec ferveur un art national ancré dans le territoire. À cet égard, ils appartiennent tous, au même titre que les artistes qui évoluent dans le cercle de Stieglitz, à une tradition qui voit le jour avec les grands peintres paysagistes américains, lesquels produisirent des images transcendantales de panoramas grandioses et sublimes.
Collection particulière
Collection particulière
Dans une quête comparable, Arthur Dove fait l’inventaire des collections inépuisables de la nature : sa flore et sa faune, ses schémas de croissance et ses systèmes interconnectés. Il organise les formes du vivant en créant des motifs intelligibles et épurés inspirés des enseignements japonais sur l’harmonie de la composition. La peinture de Charles Burchfield saisit peut-être davantage que toute autre l’essence unique de la poésie de Dickinson et son rapport au territoire américain. Ses œuvres visionnaires s’inspirent de sujets ordinaires rencontrés dans la campagne de l’Ohio et de l’ouest de l’État de New York — une graine de pissenlit portée par le vent, une maison délabrée, une ondée, un champ de fleurs sauvages ou encore une araignée tissant sa toile, entourée de papillons.
Fondée sur une perception commune ancrée dans le monde de la nature et sur la conviction profonde qu’il existe un ordre sous-jacent dont le moi fait intrinsèquement partie, l’association entre la poésie d’Emily Dickinson et la peinture moderniste américaine est purement intuitive. Ces artistes, s’ils le font, ne mentionnent que très rarement Emily Dickinson comme source d’inspiration. Elle les précède de près d’un siècle dans leurs créations. Et malgré cela, leurs œuvres convergent et se répondent.
Peut-être alors que leur démarche commune repose sur une vision intemporelle de la condition humaine. Certes, le contexte américain joue son rôle. Leur appartenance commune à un pays et à sa place dans l’histoire forme un fil conducteur.
Cette américanité dépasse pourtant les frontières pour tendre vers une réflexion universelle sur la nature mais également sur le sens de l’expérience humaine, la portée de la mort, l’inspiration de l’amour et l’intuition de l’éternité.
Extrait de la préface d’Anna Hiddleston
Les spécialistes
Françoise Delphy
Ancienne maître de conférence de littérature anglo-américaine à l’université Paris-Sorbonne (Paris IV), spécialiste d’Emily Dickinson, à qui elle a notamment dédié un travail de thèse de doctorat d’État (le premier sur le sujet), Françoise Delphy a consacré dix ans à la traduction en français des 1 789 poèmes d’Emily Dickinson – à partir d’une première édition complète publiée aux États-Unis en 1999 – parue chez Flammarion en 2009, et en 2020 dans une nouvelle édition revue et corrigée.
Elle a également traduit toute la correspondance de la poétesse connue à ce jour, soit 1 046 lettres et 124 fragments de prose, publiée aux éditions Orizons en 2018. Elle signe aussi, toujours chez Orizons, Emily Dickinson poète — dans la poche du kangourou, biographie d’Emily Dickinson publiée en 2016
Lou Doillon
Au printemps 2020, pour ne pas perdre le fil, pour se tenir, alors que la tournée de son dernier album s’est arrêtée brutalement, Lou Doillon s’impose un rendez-vous, tous les jours à 17 heures : une heure de poésie, de musique, en anglais et en français. La poésie entre pour de bon dans sa vie, et notamment l’euphorie de celle d’Emily Dickinson.
Quelques mois plus tard, Lou Doillon met en musique plusieurs poèmes d’Emily Dickinson et donne une lecture bouleversante de ses lettres à la Maison de la Poésie.
Anna Hiddleston
En 2004, Anna Hiddleston rejoint le département d’art contemporain du centre Pompidou, où elle collabore à diverses expositions. Attachée de conservation du département d’art moderne depuis 2013, elle est commissaire associée des expositions sur Matisse, Francis Bacon et Bruce Nauman et, récemment, sur la rétrospective Georgia O’Keeffe.
En 2023, elle est chargée d’établir le programme des expositions pour la nouvelle antenne du Centre Pompidou dont l’ouverture est prévue en 2025 à Jersey City, dans le New Jersey.
Revue de presse
Le présent ouvrage n’est pas une simple anthologie littéraire donnant à lire et à entendre « la liberté des phrases qui parviennent à échapper au cloisonnement de la poésie qui l’a inspirée », ainsi que l’écrit Lou Doillon dans sa préface. Elle est bien plus que cela, conformément aux dialogues plébiscités par les Éditions Diane de Selliers, soucieuses de voir des images enluminer des phrases. Confiée à l’historienne de l’art Anna Hiddleston, une sélection d’œuvres emblématiques de la peinture moderniste américaine, signées Georgia O’Keeffe, Charles Demuth, Helen Torr ou Edward Hopper, enrichit cet élégant volume, glissé dans un coffret comme un bijou dans son écrin. Somptueux.
L’Œil, Colin Lemoine
Un choix de textes magistralement illustré par les peintres modernistes met en lumière l’œuvre incandescente de la plus grande poète américaine du XIXe siècle.
[…]
Les deux œuvres ont une origine commune, l’Amérique, mais ne datent pas du même temps : cœur du XIXe siècle pour le poème, première moitié du XXe pour la peinture. Pourtant, l’enchantement opère à la perfection. Intensifie et le poème, et le tableau. Pour leur nouvel ouvrage, toujours un événement, les éditions Diane de Selliers ont choisi d’illustrer 162 poèmes de Dickinson par 170 peintures de cette période dite « moderniste », réalisées par 62artistes de sa patrie.
[…]
Couleur, chaleur, sensations, mais aussi tentative commune de dire et de représenter les élans de l’âme.
La Croix, Stéphane Bataillon
Un objet dense et poétique qui semble être le parfait cadeau des fêtes de fin d’année.
Numéro.com
Le texte est à lire, à murmurer, à méditer. Elle est convoquée, et c’est ce qui fait l’idée de génie de tout le projet éditorial de Diane de Selliers, pour le renforcer. Le poème, de même, n’est pas cité pour faire parler le tableau, pourquoi le ferait-il ? Il est là pour l’amener à une lecture. Quelle plus belle lecture faire des poèmes d’Emily Dickinson que dans cette édition exceptionnelle ?
Poesiebao.fr, Pascal Dethurens