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Regard sur 25 ans d’édition

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5 mai 2017

– 25 ans, presque 25 livres. Quel regard portez-vous sur ces vingt-cinq dernières années ?

Un regard gourmand, de bonheur, de plaisir, de fierté aussi. Une aventure magnifique, exaltante. Des rencontres, avec des textes, des artistes, des auteurs, des lecteurs, des amoureux de l’art. J’ai grandi avec chaque livre et chaque livre a été un tremplin pour le suivant.

– Les Éditions Diane de Selliers ne publient qu’un livre par an. Pourquoi un tel choix ?

Les Fables de La Fontaine illustrées par Jean-Baptiste Oudry , le premier livre que j’ai édité en 1992, dans cette collection qui deviendra « Les grands textes de la littérature illustrés par les plus grands peintres », fut un immense succès. J’ai ensuite voulu continuer avec Les Contes de La Fontaine illustrés par Fragonard , que nous avons publié en 1994 pour célébrer le tricentenaire de la mort de La Fontaine. Ce fut un deuxième immense succès. Le troisième livre, publié en 1996, La Divine Comédie de Dante illustrée par Botticelli fut une consécration.

Après ces trois livres et trois succès, notre diffuseur m’a demandé quel serait mon plan d’édition pour les années à venir. J’ai répondu que je n’en avais pas, que je ne publierais des livres que lorsqu’ils seraient suffisamment aboutis pour être présentés au public. Nous avons pu ainsi prendre le temps de construire chaque livre avec rigueur, justesse, de les nourrir des apports de spécialistes, soigner leur réalisation jusque dans les moindres détails. Chaque livre demande plusieurs années de travail. Nous les préparons et les défendons avec foi et passion. C’est pour cela aussi que nous ne pouvons en proposer plus d’un par an, c’est un travail considérable. Et nous fidélisons nos lecteurs, ils recherchent LE Diane de Selliers de l’année.

– Comment naissent vos projets de livres, ces rencontres entre textes classiques et œuvres d’art ?

Dans mon désir de faire dialoguer les œuvres littéraires fondatrices et les peintures d’un artiste ou d’un courant pictural, en relation directe avec le texte ou en suggestion, je suis à l’affût de toutes les idées, de toutes les sensations, de toutes les émotions qui me font créer ces correspondances, souvent audacieuses, toujours significatives. Des hasards heureux, des émerveillements, servis par une intuition libre de tout préjugé, le plaisir des yeux et des sens : voilà comment un livre naît. Ou souvent encore des coups de cœur que j’ai envie de partager.

J’ai le sentiment qu’il y a beaucoup de sérendipité dans mon parcours, des hasards heureux. C’est ce qui fait la beauté et l’originalité de ces rencontres. Et si l’on est attentif, disponible, curieux, ouvert aux découvertes, sans idée préconçue, on peut tout imaginer, tout réaliser.

– Vos livres tournent souvent autour de la spiritualité ; avez-vous le désir de transmettre des messages en plus de la beauté de l’art qui accompagne ces textes ?

Un désir de transmettre, oui, et aussi de partager. Cela va ensemble. Il y a des textes merveilleux et connus comme Le Cantique des cantiques, si on prend l’un de nos titres les plus récents. Je cherche alors un angle nouveau, une réflexion nouvelle, pour faire redécouvrir le poème autrement, pour apporter quelque chose de plus. J’ai aussi un plaisir immense à présenter des textes de spiritualité peu connus, comme Le Cantique des oiseaux , un poème mystique de l’islam soufi, qui a d’ailleurs été un de nos plus grands succès, ou la Bhagavadgîtâ, le plus grand texte sacré de l’hindouisme. Pour tous ces livres, oui, c’est une vraie démarche de ma part.

J’aime ces textes qui élèvent l’esprit et je m’en nourris au quotidien. Mais nous publions aussi beaucoup des textes n’ayant pas cette dimension spirituelle, comme le Don Quichotte de Cervantès, Promenades dans Rome de Stendhal ou Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll. Ces textes sont tous aussi passionnants et enrichissants. La mythologie m’intéresse également énormément : Homère, Virgile, Ovide, tous ont tant à nous apprendre, et la distance de la langue, du temps, des dieux et des héros, nous permet de mieux apprécier leur regard sur l’homme et son humanité.

– Pensez-vous que le livre d’art apporte quelque chose au lecteur ?

Pensez-vous que la beauté est nécessaire ?! Oui, elle est essentielle ! Le livre d’art est un livre où la beauté est offerte à l’œil, à l’intelligence, aux sens, à chaque page. Il apaise l’âme, l’esprit et le cœur. Sans parler des couvertures magnifiques qui embellissent les bibliothèques ! Nos livres sont un socle culturel, ils sont notre patrimoine, ils comprennent tout ce qui nous a construits au fil des siècles, et que nous portons en nous.

– Quelle idée vous faites-vous du livre parfait ?

Quand éditer des livres est votre métier, le livre parfait n’existe pas. À chaque fois que je consulte un de mes livres, j’ai envie d’aller encore plus loin. Et n’oubliez pas que la perfection est synonyme de mort. Or nos livres jaillissent de désir et de vie.

Et si nos livres touchent nos lecteurs et les font grandir de quelque manière que ce soit, mon pari est réussi !

– À l’heure du numérique, réaliser des livres d’art, est-ce vraiment raisonnable ?

Une étude déjà ancienne démontrait que le livre papier ne serait totalement remplacé par le livre numérique que le jour où il serait palpable, où il aurait l’odeur du livre papier, et où l’on pourrait l’annoter puis le ranger dans sa bibliothèque. C’est donc une aporie, car le livre numérique ne pourra remplacer le livre papier que lorsqu’il aura tous les attributs de ce dernier. Le livre d’art est irremplaçable.

En revanche le numérique peut être un excellent complément. D’ailleurs, nous avons deux ebooks, Alice au pays des merveilles illuminé par Pat Andréa et l’Éloge de la folie d’Erasme avec les dessins d’Holbein commentés, ainsi qu’une application sur L’Enfer de Dante .

– Avez-vous une anecdote concernant votre meilleure souvenir d’éditrice ?

Des anecdotes, j’en ai à foison pour chacun de mes livres. Il y a quelque chose qui ne m’a jamais quittée ces 25 dernières années : le fait de ne jamais considérer NON comme une réponse acceptable. Je me suis souvent battue pour obtenir des autorisations, des droits de reproduction ou rencontrer des personnes inapprochables, et je n’ai jamais regretté de le faire. Chaque bataille est une histoire, celle de la création du livre et de l’excellence. Je pourrais écrire un livre entier sur ça !