Les sources vives
Hier soir, Jérémie Rhorer nous a transportés dans les cieux en dirigeant, à la Philharmonie de Paris, le Requiem de Mozart avec son orchestre « le Cercle de l’harmonie ».
Ce concert, dédié à la mémoire de Monique Pelletier, la ministre qui a fait promulguer la loi criminalisant le viol en 1980, qui fut présidente d’honneur du Cercle de l’harmonie, était d’une profondeur et d’une spiritualité intenses

Dans le monde où nous vivons, les tensions, les violences, les atteintes aux libertés se multiplient. Les valeurs de fraternité que nous avons développées depuis la Seconde Guerre mondiale reculent, tandis que les frontières se referment. Des paroles précipitées étouffent la pensée ; les réseaux « sociaux » bousculent nos liens sociaux ; la solitude affaiblit les jeunes et les moins jeunes. Nous avons besoin, plus que jamais, de nous préserver des moments au cours desquels nous retrouver dans notre authenticité, afin de nous recentrer sur le Beau, le Bien, le Bon. Privilégions donc tout ce qui peut nourrir notre regard et notre âme. Le silence, la musique, l’art, la lecture permettent ces évasions vers nous-mêmes.
Le fragment d’un poème de Goethe, repris dans la Rhapsodie pour contralto de Brahms avec chœur d’hommes et orchestre, chanté divinement par Agnieszka Rehlis, a précédé le Requiem. Jérémie Rhorer, chef d’orchestre inspiré, nous a offert deux visions du sacré, celle de Brahms et celle de Mozart, deux visions de l’humanité. Sous sa baguette jaillit le mystique. Les sources innombrables qui s’offrent à l’assoiffé dans le désert nous ont été révélées.
Aber abseits wer ist’s ?
Im Gebüsch verliert sich sein Pfad ;
hinter ihm schlagen die Sträuche zusammen,
das Gras steht wieder auf,
die Öde verschlingt ihn.
Ach, wer heilet die Schmerzen
dess, dem Balsam zu Gift ward ?
Der sich Menschenhaß
aus der Fülle der Liebe trank !
Erst verachtet, nun ein Verächter,
zehrt er heimlich auf
seinen eigenen Wert
In ungenügender Selbstsucht.
Ist auf deinem Psalter,
Vater der Liebe, ein Ton
seinem Ohre vernehmlich,
so erquicke sein Herz !
Öffne den umwölkten Blick
über die tausend Quellen
neben dem Durstenden
in der Wüste !
Goethe
Mais qui va là, solitaire ?
Son chemin disparaît dans les fourrés ;
derrière lui les branches se rassemblent,
l’herbe se redresse,
la broussaille l’engloutit.
Ah, qui peut guérir les plaies
de celui pour qui le baume s’est fait poison
et qui a bu la haine du genre humain
à l’abondance de l’amour ?
Autrefois méprisé, aujourd’hui méprisant,
il se repaît en secret
de sa propre valeur,
dans l’insuffisant amour-propre.
Si tu as sur ton psaltérion,
Père de l’amour, une seule note
qu’entendra son oreille,
fais renaître son cœur !
Ouvre son regard embué
aux milliers de sources
près de l’altéré
dans le désert !
Traduction partagée par le Cercle de l’Harmonie
Le monde a soif de silence, de musique, d’art, et de lectures. Nous avons soif de silence, de musique, d’art, et de lectures. Jérémie le sait, le vit, avec toute sa puissance créatrice sans concession. Nous le savons, nous l’expérimentons à travers « les grands textes de la littérature illustrés par les plus grands artistes ».
Cette collection dont nous sommes fiers, nous l’avons étoffée année après année, et chacun des volumes, comme autant de pierres, consolide l’édifice de notre commune humanité. Ils sont autant de phares posés sur l’océan infini de notre quête de sens, autant de sources vives auxquelles puisent nos racines. Chacun de nos livres est une invitation à élargir notre regard sur le monde, afin de mieux le comprendre et d’exercer notre réflexion. Nous y célébrons des valeurs universelles grâce auxquelles chaque lecteur peut, à son tour, devenir un phare.
Lire, c’est prolonger le souffle du monde et faire le choix de la vie.
Diane de Selliers, le 5 novembre 2025