Écrire sur le luxe est un luxe qui me plaît. Mot, notion, conception qui se situent sur les cimes surplombant les précipices, sur le fil du funambule, en équilibre entre la luxure et la luxuriance, et débordant sans cesse d’un extrême à l’autre.

« Vous éditez des livres de luxe », me dit-on. Oh la phrase réductrice, l’idée d’exclusion, oh les happy few. « Diane de Selliers est une éditrice qui réalise des ouvrages luxueux. » Le bonheur d’entendre cette phrase, la fierté, le raffinement délicieux. « Et en plus cette éditrice s’offre le luxe de ne publier qu’un seul livre par an. » Voilà l’admiration qui pointe, le soupçon de jalousie qui naît, le désir d’une autre notion au temps qui fait rêver les êtres pressés.

Ce que j’aime dans le luxe, c’est son double sens et ses multiples sens. Ce qui est luxueux pour certains ne l’est pas pour d’autres, que ce soit en terme de cherté, d’exception ou de rareté. Ce seul mot suscite et entraîne tous les sentiments, passe du sens le plus péjoratif -luxe vulgaire, déplacé, excessif, voyant, odieux – à l’admiration la plus inconditionnelle, synonyme de raffinement, d’élégance, de qualité extrême, de plaisir hédoniste, de rareté choisie, de délicatesse, d’harmonie, d’attention.

Même dans la racine du mot, l’ambiguïté peut rester entière ; de lux, lumière originelle à luxuriance, profusion, abondance, à luxure, débauche et excès sexuels, il y a de quoi se luxer les sens et le cerveau.

Le luxe semble relever de la plus grande superficialité alors qu’il touche à l’essentiel. Le luxe est d’être à l’écoute de ses intuitions, de ses sensations, et qu’elles puissent jaillir dans la vision créatrice d’une œuvre qui rassemble et vous ressemble.

Mon luxe, c’est de prendre des risques à chaque aventure éditoriale. Je ne parle pas du risque d’entreprendre, mais des risques humains, s’élancer, s’engager, s’exposer, croire, faire confiance, oser. Le luxe ne fait pas la vie, il n’est qu’instants rares et précieux. Mais la vie est luxe…

Mon luxe, c’est de pouvoir dire en peu de mots des choses essentielles…après m’être immergée dans la profusion des mots et des images des ouvrages que je publie.

Les avoir là, à portée de regard, les caresser des yeux, tendre la main vers eux, posés ouverts sur un lutrin ou debout sur une table dans leur coffret, ces textes essentiels, fondateurs de la littérature, accompagnés des peintures qui entraînent l’intelligence, l’imagination, l’émotion au-delà de l’histoire, permet de se dire enfin : « Un jour, je m’offrirai le luxe de les lire ».

Le luxe est immatérialité, impalpable, indicible. Mon luxe est de faire le métier que j’aime. Confucius disait : « Choisis un travail que tu aimes et tu ne travailleras pas un seul jour dans ta vie. » Mon luxe, c’est de dire ou à ce que j’aime. Luxe rareté, luxe cher, luxe d’être.

Le luxe suprême est d’aimer, d’accepter d’aimer sans conditions, et de continuer à avancer en captant les instants de beauté et de plaisir qui conduisent vers la lumière : lux, mon luxe, c’est vous.

Diane de Selliers
La Revue des Deux Mondes
juillet-août 2002